Panier

Chargement en cours ...

novembre 2017

La Grande Pyramide fait à nouveau parler d’elle !

Décidément, le site de Gizeh, en Égypte, semble bien loin d’avoir livré tous ses secrets. De nouvelles révélations sur la construction de la pyramide de Khéops viennent relancer le vieux débat qui agite le monde scientifique depuis des lustres, et un nouvel espace inconnu vient d’être détecté dans la Grande Pyramide.

La découverte, dans une des trente galeries creusées à l’horizontal dans un massif montagneux bordant le port de Wadi el-Jarf, sur la mer Rouge, au sud-est du Caire, d’un lot important de papyrus datant du règne de Khéops (ca 2538-2516 av. J.-C.) est d’autant plus exceptionnelle qu’elle fut inattendue. Il s’agit d’un lot d’archives administratives comportant un journal de bord et des registres d’approvisionnements variés remontant au règne du pharaon Khéops lui-même. Il fut mis au jour au fond d’une fosse par une équipe franco-égyptienne dirigée par Pierre Tallet¹, professeur d’égyptologie à Paris Sorbonne, qui fouille le site depuis 2011.

 

L'un des nombreux papyri découverts dans les galeries du Wadi el-Jarf, près de la mer Rouge. © Pierre Tallet. DR.

L’un des nombreux papyri découverts dans les galeries du Wadi el-Jarf, près de la mer Rouge. © Pierre Tallet. DR.

 

Le journal de bord a été tenu par une équipe de bateliers qui notaient quotidiennement leurs activités au service du pharaon. Ces documents rapportent une année environ de leur travail, ce qui démontre une organisation bien huilée des services administratifs royaux. L’autre lot est composé de registres d’approvisionnement, tenus par l’administration royale, qui enregistraient tout ce qui était livré pour l’entretien des équipes d’ouvriers travaillant dans le port : produits alimentaires variés, outils, fournitures diverses. Parmi tous ces documents conservés sous forme de fragments (près d’un millier mis au jour), figure le papyrus de Merer. Sa découverte date de 2013 mais a été rendue publique cette année : il s’agit du plus ancien papyrus égyptien connus à ce jour, vieux de 4500 ans, remontant au tout début de la IVe dynastie. Merer était un fonctionnaire royal chargé de diriger une importante équipe d’ouvriers qualifiés à la fin du règne du pharaon Khéops. Ce papyrus décrit en détail son activité pour le compte du roi. Outre le fait qu’il mentionne le demi-frère du pharaon, Horbaef, qui avait été chargé de la construction de la Grande Pyramide par le souverain en personne, le point le plus fascinant de ce papyrus est la mention de la construction de la Grande Pyramide elle-même, en particulier le transport des blocs de calcaire provenant de Toura, sur la rive opposée du Nil, à 20 kilomètres de Gizeh, employés pour le parement extérieur de la pyramide. Cette mention pourrait sans doute éclairer de manière irrévocable la façon dont la Grande Pyramide a été construite : avec des blocs taillés dans des carrières puis transportés par bateaux jusqu’au site de Gizeh. Mais pour que cette hypothèse soit valide, il faudrait être sûr qu’il existait un réseau de canaux destinés à faciliter le transport par bateau de ces immenses blocs jusqu’au pied de l’imposant monument. Or, la pertinence des données du papyrus de Merer semble confirmée par la découverte des sept fosses à bateau tout autour de la pyramide de Khéops, et par celle d’un canal ou d’une voie d’eau au pied de la pyramide. On s’achemine donc prudemment vers l’hypothèse la plus vraisemblable, défendue depuis longtemps, d’un acheminement par voie d’eau des immenses blocs qui ont servi à la construction de la seule des sept merveilles du monde encore visible.

Mais c’est de la pyramide elle-même que vient la toute dernière découverte, une trouvaille qui met en effervescence le monde des égyptologues : l’identification d’une vaste cavité au cœur même de l’édifice. L’annonce a été faite dans la revue Nature² par les membres de l’équipe du projet “ScanPyramids”, une association de chercheurs internationale composée notamment d’ingénieurs de l’université du Caire, de celle de Nagoya (Japon), de l’institut “Heritage Innovation Preservation” (Paris), de l’université de Laval (Québec) et du Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA), sous la direction du Ministère des Antiquités Égyptien. La cavité en question se développerait sur une trentaine de mètres de long, juste au-dessus de la Grande galerie, ce long couloir ascendant menant jusqu’à la chambre dite “du Roi”. On ignore encore s’il s’agit d’une chambre ou d’un passage, ou si elle joue un rôle structurel particulier dans l’édification de la pyramide.

 

Vue aérienne 3D de la Grande Pyramide de Gizeh, montrant les chambres dites “du Roi” et “de la Reine”, la Grande Galerie, la chambre souterraine inachevée, ainsi que la cavité nouvellement détectée par les ingénieurs du projet “ScanPyramids”. © ScanPyramids mission”. DR.

Vue aérienne 3D de la Grande Pyramide de Gizeh, montrant les chambres dites “du Roi” et “de la Reine”, la chambre souterraine inachevée, la Grande Galerie ainsi que, juste au-dessus de celle-ci, la cavité nouvellement détectée par les ingénieurs du projet “ScanPyramids”. © ScanPyramids mission”. DR.

 

 

Cette découverte a été possible grâce à la détection de particules appelées muons. Il s’agit de particules élémentaires de charge électrique négative, qui présentent les mêmes propriétés que l’électron mais dont la masse est 207 fois plus grande. Les muons sont produits par les effets des rayons cosmiques dans la haute atmosphère sur les pions qu’ils détruisent. Leur durée de vie est extrêmement courte : environ deux microsecondes, mais ils ont une grande énergie ce qui permet de les observer à la surface de la Terre. Pour détecter la cavité, les scientifiques de l’université de Nagoya ont installé des plaques photographiques détectant les muons et un détecteur de muons tout autour de la chambre dite “de la Reine”. Dans le même temps, les ingénieurs du CEA ont disposé des “télescope à muons” à l’extérieur de la pyramide. Ce dispositif général a ainsi permis au projet “ScanPyramids” de déterminer dans quelle direction les muons arrivaient sur le monument. En comparant leurs résultats, les scientifiques ont pu localiser un endroit précis de concentration des muons correspondant à une cavité inconnue, car là où les pierres absorbent les muons, les chambres et les cavités les laissent passer, ce qui rend leur détection plus aisée. Mais les résultats obtenus sous forme d’images en basse résolution ne permettent pas encore de déterminer si cette cavité est horizontale ou parallèle à la Grande Galerie. Selon le professeur Peter Der Manuelian, égyptologue et directeur du musée sémitique de Harvard, il s’agit sans doute d’une découverte majeure pour la compréhension de la Grande Pyramide. Il existe sûrement beaucoup d’imperfections, et peut-être plusieurs petites cavités ou vides à plusieurs endroits du monument, mais ce qui fait l’intérêt de cette découverte est sa taille.

L’avenir des monuments du plateau de Gizeh est plein d’espoirs pour les archéologues et les passionnés d’égyptologie et de civilisations anciennes. Une fois de plus, l’actualité nous apporte un lot d’informations qu’il faut prendre avec beaucoup d’humilité et de circonspection pour éviter toute interprétation frauduleuse. Il reste aux spécialistes à analyser et approfondir leurs recherches dans la seule optique de participer à une meilleure connaissance de notre histoire.

 

Bruno Bioul

 

 

 

Notes

1. Voir Pierre TALLET, Les papyrus de la mer Rouge, volume 1, Le journal de Merer, papyrus Jarf A et B, Institut français d’archéologie orientale, Le Caire, 2017.

2. Kunihiro Morishima, Mitsuaki Kuno, Mehdi Tayoubi, et al., Discovery of a big void un Khufu’s Pyramid by observation of cosmic-ray muons, dans Nature, novembre 2017.