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octobre 2021

Des stèles d’époque romaine découvertes à Abou Billou (Égypte)

Les découvertes se succèdent sur le site de la mission française de Kôm Abou Billou, en bordure du désert libyque, au nord-ouest du Caire. Cette mission est dirigée par Sylvain Dhennin, égyptologue et archéologue, CNRS, HiSoMA. Le 4 octobre dernier, une nouvelle stèle funéraire a été découverte dans la nécropole romaine. Elle porte une inscription en grec qui donne le nom et l’âge du propriétaire de la tombe : Erminos.

 

La toute dernière stèle funéraire d'époque gréco-romaine mise au jour à Abou Billou. Elle mentionne le nom du défunt : Erminos. © Photo mission archéologique française d'Abou Billou. DR.

La toute dernière stèle funéraire d’époque gréco-romaine mise au jour à Abou Billou le 4 octobre 2021. Elle mentionne le nom du défunt : Erminos. © Photo mission archéologique française d’Abou Billou. DR.

 

Image DR.

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Les premiers travaux à Kôm Abou Billou sont menés par l’Egypt Exploration Fund et Francis Llewellyn Griffith entre 1887 et 1888, à l’occasion d’une campagne de travaux archéologiques en Basse Égypte. Cette équipe met au jour quelques blocs du temple d’Hathor, ainsi que des tombes d’époque pharaonique et gréco-romaine.

Il faut attendre 1935 et l’arrivée d’Enoch Peterson (Kelsey Museum, Université du Michigan) pour que de nouvelles fouilles soient réalisées. Du 10 mars au 20 avril 1935, E. Peterson ouvre plusieurs secteurs de la nécropole gréco-romaine et note l’important potentiel archéologique du site.

Les plus importantes opérations archéologiques ont été menées par le Service des Antiquités de l’Égypte entre 1969 et 1975 : il s’agissait de fouilles de sauvetage en raison du creusement du canal, portant pour l’essentiel sur la nécropole, mais pour lesquelles peu de publications ont vu le jour.

Les travaux engagés depuis 2012 ont pour objectif de combler cette lacune, en reprenant le dossier de ce site remarquable. La fouille archéologique à Kôm Abou Billou s’envisage à la fois comme une fouille programmée et comme une fouille de sauvetage, car les terrains cultivés situés en bordure du site rongent peu à peu la zone archéologique. Il convient donc d’intervenir rapidement, afin de sauver de la destruction les nombreux vestiges présents.

L’espace funéraire

Située dans la partie occidentale du site de Kôm Abou Billou, la nécropole d’époque gréco-romaine était l’une des plus vastes de Basse Égypte. Les tombes, au nombre de 1500 rien que pour la partie sud du site, étaient placées les unes à côté des autres, sans ordre apparent, laissant peu de place pour la circulation. Elles réservaient en revanche un espace au sein duquel se déroulaient les rites funéraires. Jamais réoccupée en surface, la nécropole présente un état de conservation exceptionnel. Laissée telle qu’elle a été abandonnée, certaines tombes ont été découvertes inachevées, accompagnées encore des outils ayant servi à leur construction, jattes pour la fabrication de l’enduit et bols contenant de la peinture pour la décoration. Plus ou moins riches, les tombes pouvaient en effet être recouvertes d’enduits peints présentant des scènes mythologiques faisant appel au répertoire iconographique égyptien comme grec.

Photo DR.

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De manière générale, les tombes étaient construites en brique crue et pouvaient prendre différentes formes, dont certaines sont pour le moment connues uniquement à Kôm Abou Billou. À côté des traditionnelles tombes rectangulaires ou à couverture en berceau, de nombreuses tombes reprenaient l’aspect très égyptien de la pyramide, ou de manière plus surprenante des formes circulaires ou octogonales. Toutes ces tombes comportaient une façade, devant laquelle était aménagée une table d’offrande, en brique crue ou exceptionnellement en calcaire, sur laquelle se tenaient libations et encensements. Au-dessus de celle-ci, une petite niche recevait une stèle funéraire, présentant un ou plusieurs défunts accompagnés de leurs noms et de la date de leur mort.

Le mobilier funéraire accompagnant les défunts était particulièrement riche. À l’extérieur de la tombe, de petits autels, des encensoirs, des vases à libation, des lampes à huile ou des céramiques de formes diverses servaient aux visiteurs à effectuer les rites en faveur du défunt. Ces objets sont des témoins particulièrement précieux pour les archéologues, qui peuvent tenter à partir de là de reconstituer les gestes qui étaient effectués devant les sépultures. À l’intérieur de la tombe, accompagnant le corps, se trouvaient des amulettes et statuettes funéraires de tradition pharaonique. Celles-ci étaient accompagnées par des éléments de tradition plus grecque : lampes à huile, monnaies (oboles à Charon)  et petites feuilles d’or gravées pour recouvrir les yeux, la bouche ou les ongles du défunt. Les tombes de Kôm Abou Billou présentaient également une particularité, la présence très fréquente de statuettes de la déesse Aphrodite, en terre cuite ou en faïence. Ces statuettes sont attestées dans d’autres nécropoles mais ont été découvertes dans un nombre particulièrement significatif à Kôm Abou Billou.

Les fouilles menées depuis 2014 dans la zone de la nécropole, sous la responsabilité de Paul Picavet (Doctorant, université de Lille) ont livré un ensemble de 54 structures, pour une surface totale de 180 m2. Réparties en plusieurs phases entre le IIe et le IVe siècles de notre ère, elles présentent un bon état de conservation, qui permet de suivre l’évolution de l’espace funéraire sur la longue durée. Pour la première fois également, des stèles funéraires ont pu être documentées en contexte. Elles permettront de lier les informations apportées par l’épigraphie à celles apportées par l’anthropologie. Elles devraient également permettre d’apporter de nouvelles indications pour la datation générale du corpus des stèles funéraires de Térénouthis.

Dessin DR.

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Les stèles funéraires

Les stèles funéraires étaient placées en façade des tombes de Térénouthis, incluses dans la maçonnerie. Les bords n’étaient pas visibles et il n’était donc pas nécessaire de leur donner des formes régulières. Elles avaient vocation à identifier les défunts. Elles les représentent et précisent généralement leur nom, leur âge et la date de leur mort. Ces stèles fonctionnaient en association avec des tables d’offrande, situées devant la tombe. L’on y pratiquait les rites funéraires, qui consistaient à déposer des offrandes, faire des libations et des encensements. Les thèmes iconographiques développés sur les stèles renvoient souvent à la pratique de ces rites. Les stèles de Térénouthis, tout particulièrement, représentent de très nombreuses scènes de banquet couché, dont l’origine n’est pas à rechercher en Égypte, mais dans le reste du monde gréco-romain. Ce type de scène a surtout été utilisé en Grèce, en Macédoine ou au Proche-Orient, mais seuls Alexandrie et Kôm Abou Billou en ont livré pour l’Égypte.

 

Photo DR.

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Depuis l’automne 2016, la mission de Kôm Abou Billou, soutenue par le programme Impulsion du PALSE, a pu développer un programme de rassemblement et d’étude de ces stèles funéraires. Disséminées dans les musées et collections privées du monde entier, souvent issues de pillages ou de fouilles illégales et dénuées de contexte, elles constituent l’un des corpus épigraphiques en grec les plus volumineux de l’Égypte gréco-romaine. Une base de données a été réalisée (S. Dhennin, I. Goncalves, J. Akharraz), afin de reprendre l’étude complète de chacun de ces documents. Incrémentée par J. Akharraz, cette base permettra de mener une étude épigraphique et stylistique du corpus complet. L’intérêt principal de cette démarche réside dans le fait que nos travaux actuels sur le terrain (fouilles dans la nécropole) permettent de mettre au jour des stèles funéraires en contexte. Elles peuvent ainsi, pour la première fois, être datées précisément et reliées aux autres informations apportées par la tombe : données anthropologiques, matériel funéraire associé, restes d’offrandes. Cette étude contextualisée permettra de redonner à ces documents toute la place qu’ils méritent dans l’histoire sociale et funéraire de l’Égypte gréco-romaine.

Pour en savoir plus sur le site de Kôm Abou Billou et la mission française, rendez-vous sur https://aboubillou.hypotheses.org/