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juillet 2017

Un témoin du Grand Siècle à Toulon. Les fouilles de l’Ancien Hôpital Chalucet

Par Quentin Rochet et Bruno Bioul

Ancien hôpital Chalucet. Fontaine en bas-relief (mascaron). XVIIe siècle. Photo © Archeodunum.
Ancien hôpital Chalucet. Fontaine en bas-relief (mascaron). XVIIe siècle. Photo © Archeodunum.

À l’occasion des travaux de reconversion de l’ancien hôpital Chalucet entrepris dans le cadre du futur “Quartier de la Créativité et de la Connaissance” qui s’étendra sur trois hectares, en plein cœur de Toulon, et dont l’inauguration aura lieu au second semestre 2019, une opération d’archéologie préventive a été réalisée du 17 octobre au 22 décembre 2016 par la société Archeodunum. Les niveaux de sols sont souvent conservés même si les murs sont arasés, et le premier hospice, daté de 1679, est relativement bien préservé avec 1 à 1,5 m de hauteur (bâtiment excavé). Mais ce qui a frappé les archéologues, ce sont les milliers d’objets de la vie quotidienne découverts qui sont autant de témoins étonnants et émouvants d’une période que les historiens appellent le Grand Siècle.
L’ambitieux projet urbanistique à l’origine de cette fouille regroupera, à l’horizon 2020, l’École Supérieure d’Art et de Design TPM, la médiathèque, l’École Supérieure internationale de commerce Kedge Business, une pépinière d’entreprises du numérique, des bureaux administratifs pour le Conseil départemental du Var, la restructuration du jardin Alexandre Ier et divers aménagements urbains. L’emprise de la fouille représente 3 200 m², pour une surface totale du projet d’aménagement de 14 775 m². Situé à l’ouest de la gare de Toulon, dans la partie septentrionale du centre-ville, le site de l’ancien hôpital Chalucet se trouve à l’extérieur des agglomérations antiques et médiévales, et en périphérie des fortifications érigées par Vauban entre 1679 et 1697. Il est cependant englobé dans l’enceinte urbaine au milieu du XIXe siècle. Il tient son nom de celui d’Armand-Louis Bonnin de Chalucet (1641-1712), neveu de Richelieu, qui fut évêque de la ville de 1684 jusqu’à sa mort.

 

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Fig. A.

UN PORT, UN BAGNE ET UN HOPITAL
Sous l’Ancien Régime, Toulon était, avec Brest, l’un des deux grands ports militaires de la flotte du roi de France. Un bagne y fut ouvert, le plus grand du royaume (il pouvait loger plus de 4000 forçats) et le plus longtemps en activité (de 1748 à 1873) : les condamnés dormaient sur d’anciennes galères démâtées et étaient employés dans les travaux les plus pénibles durant la journée : sur le port, dans l’arsenal, dans la corderie ou dans les carrières de pierre. La ville fut fortifiée par Vauban (1633-1707) et l’existence d’une institution hospitalière y est très ancienne. Les premières mentions avérées remontent aux années 1300. On parle alors d’un hôpital tenu par les Frères du Saint-Esprit, installé rue Maurels (aujourd’hui rue F. Pelloutier). Une autre installation eut lieu rue Royale (aujourd’hui place du Théâtre) en 1560, qui prendra l’appellation d’Hôtel-Dieu en 1599.
La fondation de l’hôpital de la Charité, dit Chalucet, remonte, elle, aux années 1670. Le site connaît trois grandes phases d’occupation qui sont attestées par les sources historiques. Un premier “hospice de la charité” est fondé en 1678 par testament de Jean de Gautier (†1667), un ecclésiastique toulonnais important, pour accueillir les vieillards pauvres. À partir de 1694, monseigneur Bonnin de Chalucet (1641-1712) fait raser l’édifice pour y construire l’Hôpital de la Charité. Puis au milieu du XIXe siècle, un nouvel hôpital est érigé qui englobe la construction antérieure. L’aile ouest de l’Hôtel-Dieu, qui constituait le bâtiment central du complexe édifié par Chalucet en 1694, réutilisé et doublé à l’est au milieu du XIXe siècle, est détruite en 1944 par les bombardements alliés, et la plupart des bâtiments du XIXe siècle disparaissent au début du XXIe siècle avec le projet d’aménagement urbain.
DEUX GRANDS ENSEMBLES DE BATIMENTS (XVIIE-XIXE SIECLES)
Rien ne permet d’affirmer que le site a été occupé avant le XVIIe siècle. On relève juste qu’un fragment de lame de silex du Néolithique final a été identifié dans le mobilier des fosses de rejets, ainsi qu’un demi-sesterce illisible, datable du Haut-Empire, qui correspond probablement à un ramassage ponctuel à l’époque moderne. Il en va de même pour le Béal de Bonafé, l’aqueduc médiéval dont le tracé était situé dans l’emprise de fouille par l’historiographie toulonnaise. La topographie actuelle témoigne d’une forte anthropisation, la pente naturelle étant aménagée en terrasse aux périodes moderne et contemporaine.
Les occupations du XVIIe siècle mises au jour se traduisent principalement par deux complexes bâtis. Un premier ensemble de bâtiments a été observé à l’est de l’emprise, pour partie sous l’aile orientale, conservée, de l’hôpital du XIXe siècle (Fig. A et B). Ces vestiges, observés sur 200 m², traduisent au moins trois aménagements successifs d’un bâtiment dont il n’est pas encore possible d’identifier la ou les fonctions. Il est bordé à l’ouest par une calade (espace de circulation pavé en pente) recouvrant un système de drainage des eaux pluviales, et à l’est par un collecteur massif faisant office de mur de terrasse. Ce complexe est encore présent sur le cadastre napoléonien en 1808.

 

Fig. B. Un premier ensemble de bâtiments du XVIIe siècle a été observé à l’est de l’emprise, pour partie sous l’aile orientale, conservée, de l’hôpital du XIXe siècle. Ces vestiges, observés sur 200 m², traduisent au moins trois aménagements successifs d’un bâtiment dont il n’est pas encore possible d’identifier la ou les fonctions. Photo © Archeodunum.
Fig. B. Un premier ensemble de bâtiments du XVIIe siècle a été observé à l’est de l’emprise, pour partie sous l’aile orientale, conservée, de l’hôpital du XIXe siècle. Ces vestiges, observés sur 200 m², traduisent au moins trois aménagements successifs d’un bâtiment dont il n’est pas encore possible d’identifier la ou les fonctions. Photo © Archeodunum.

Le second bâtiment, observé à l’ouest, est une construction semi-excavée sur deux étages : le rez-de-chaussée est de plain-pied au sud tandis que le niveau de circulation supposé du premier étage correspond au niveau de circulation extérieure au nord (Fig. C). Le rez-de-chaussée comprend un hall et cinq pièces sur une superficie d’environ 90 m² dont de nombreux aménagements sont conservés (sol en tomettes, seuils, escalier, murs et enduits). L’une de ces pièces conserve les vestiges d’un grand four domestique, tandis qu’une autre présente les restes d’un bassin dont la fontaine en bas-relief (mascaron) a été découverte dans les couches de démolition. L’ensemble est assaini par un important système de drainage situé en amont dont les eaux sont ensuite acheminées en contrebas du bâtiment par une série de canalisation passant sous les sols. Ce bâtiment est détruit et remblayé en une seule fois, peut-être suite à la construction de l’évêque Chalucet, érigée quelques mètres seulement plus au nord.

Fig. C. Un second bâtiment (XVIIe s.) est une construction semi-excavée sur deux étages : le rez-de-chaussée est de plain-pied au sud, tandis que le niveau de circulation supposé du premier étage correspond au niveau de circulation extérieure au nord. Le rez-de-chaussée comprend un hall et cinq pièces sur une superficie d’environ 90 m² dont de nombreux aménagements sont conservés (sol en tomettes, seuils, escalier, murs et enduits). L’ensemble est assaini par un important système de drainage situé en amont dont les eaux sont ensuite acheminées en contrebas du bâtiment par une série de canalisation passant sous les sols. Photo © Archeodunum.
Fig. C. Un second bâtiment (XVIIe s.) est une construction semi-excavée sur deux étages : le rez-de-chaussée est de plain-pied au sud, tandis que le niveau de circulation supposé du premier étage correspond au niveau de circulation extérieure au nord. Le rez-de-chaussée comprend un hall et cinq pièces sur une superficie d’environ 90 m² dont de nombreux aménagements sont conservés (sol en tomettes, seuils, escalier, murs et enduits). L’ensemble est assaini par un important système de drainage situé en amont dont les eaux sont ensuite acheminées en contrebas du bâtiment par une série de canalisation passant sous les sols. Photo © Archeodunum.

De cette dernière est conservée en élévation la chapelle (une partie de son aménagement actuel date toutefois du XIXe siècle) et l’aile ouest. Le corps central du bâtiment, d’une superficie de 320 m², a été découvert en fouille. Ce grand bâtiment, fortement arasé, présente à l’ouest un sol de grandes tomettes hexagonales et plusieurs murs de refends. Il se caractérise par la très nette différenciation de ces maçonneries avec, au sud, un grand mur de façade monumental, au parement en pierre de taille, contre lequel viennent s’accoler au XIXe siècle plusieurs appentis.
UN “TRESOR” DANS LES POUBELLES
Deux grandes fosses-dépotoirs comprenant des rejets des XVIIIe et XIXe siècles ont été mises au jour. Leur contenu, riche et varié, permet d’appréhender la vie quotidienne dans l’Hôtel-Dieu : rejets de boucherie et céramiques domestiques, bouteilles, mais aussi pipes en grand nombre, boutons et objets vestimentaires, dés et dominos, etc. (Fig. D et D’).

 

Fig- D. Boutons et foyer de pipe en terre cuite. XVIIIe-XIXe s. Photo © Archeodunum.
Fig. D. Boutons et foyer de pipe en terre cuite. XVIIIe-XIXe s. Photo © Archeodunum.

 

Fig. D'. Épingles et médaillons en métal. Photo © Archeodunum.
Fig. D’. Épingles et médaillons en métal. Photo © Archeodunum.

 

Quelques éléments décoratifs ne manquent pas d’attirer l’attention : on remarque ainsi des fragments de carreaux de pavements peints représentant des bagnards au travail (fig. E).

 

Fig. E. Fragments de carreaux de pavements peints représentant des bagnards au travail. Photo © Archeodunum.
Fig. E. Fragments de carreaux de pavements peints représentant des bagnards au travail. Photo © Archeodunum.

 

 

Les scènes de ce genre ne manquent dans la grande peinture du XVIIe-XVIIIe siècle, et l’on en trouve un écho émouvant dans le Journal de voyage d’Arthur Schopenhauer en 1804 lorsque le jeune philosophe allemand passe par Toulon : « les galériens exécutent dans l’Arsenal toutes les corvées. Un étranger ne peut être que frappé de leur aspect (…) ». Sept monnaies issues des fosses de rejets ont pu être identifiées, couvrant une fourchette chronologique allant de la fin du XVIIe siècle au début du XIXe siècle (1826 pour la plus tardive). Plusieurs aménagements extérieurs de l’Hôtel-Dieu du XIXe siècle ont également été observés en fouille : bassins, collecteurs et chablis notamment.
Les études spécialisées et l’exploitation de la documentation ne font que débuter. Leur poursuite permettra sans nul doute de préciser ces premières pistes d’interprétation et de mieux comprendre l’histoire des hospices et Hôtel-Dieu toulonnais. ♥