NOUVELLE EXPOSITION
AU MÉMORIAL 14-18 NOTRE-DAME-DE-LORETTE
Le Mémorial 14-18 Notre-Dame-de-Lorette présente des centaines de photographies dans son Centre d’Histoire, provenant de fonds d’archives internationaux et de fonds privés. Mais connaissez-vous les histoires qui se cachent derrière ces images ?
La Grande Guerre marque un tournant majeur dans l’usage de la photographie. En moins de quatre années, la photographie s’impose comme un outil d’information de masse : c’est la première fois qu’autant d’images sont produites sur une période si courte. Des centaines de milliers de photographies sont prises, par des photographes officiels ou amateurs, qui reflètent la mobilisation de toute une société. Confrontés à une guerre inédite, les Français ressentent le besoin d’immortaliser ce conflit et d’en suivre l’évolution. Les progrès techniques d’avant-guerre permettent pour la première fois aux soldats de documenter visuellement leur expérience et de la partager. La photographie devient dès la Grande Guerre un outil puissant de témoignage qui a contribué à forger nos représentations du conflit jusqu’à aujourd’hui.
Pour comprendre cette « fabrique des images » durant la Première Guerre mondiale, le Mémorial 14-18 et l’Établissement de Communication et de Production Audiovisuelle de la Défense (ECPAD), ont souhaité s’associer. Héritier direct de la Section Photographique de l’Armée (SPA) créée en 1915, l’ECPAD conserve, enrichit et renseigne un fonds de 118 142 photographies et 2 067 films sur la Grande Guerre.
Imaginée par les deux institutions, l’exposition Derrière les images. Photographier la guerre révèle le parcours d’une photographie pendant la Première
Guerre mondiale, depuis sa production jusqu’à sa diffusion et son héritage contemporain, à travers une sélection de clichés issus des fonds de l’ECPAD.
Conçue en complément du parcours permanent du Mémorial, certains sujets n’apparaissent pas dans l’exposition, comme l’utilisation tactique de la photographie par les vues aériennes ou les relevés topographiques, bien que les opérateurs de la SPCA y aient été associés. De même, l’aspect cinématographique du travail de la SPCA est seulement visible dans les collections permanentes, bien qu’il accompagne de façon organique le développement de la photographie officielle.
À travers les images sélectionnées, l’exposition montre sous un angle renouvelé les territoires du Nord et du Pas-de-Calais dans la tourmente du conflit et témoigne à quel point ce front, souvent méconnu, concentre toutes les caractéristiques de la Grande Guerre et de son caractère industriel, mondial et total.
À cette occasion, le Mémorial 14-18 vous présente également trois œuvres issues du travail du photoreporter Édouard Elias, dont les photographies prises en Ukraine pendant la guerre du Donbass en 2018 résonnent de manière troublante avec les images de la Première Guerre mondiale.
Parcours de l’exposition
Étape 1. Derrière les images… la guerre
Comment la photographie est-elle passée au cours de la Grande Guerre d’un simple visuel d’illustration à un outil d’information indispensable ? À la veille de la Première Guerre mondiale, la photographie est en plein développement dans la société française mais reste le plus souvent associée au loisir ou à l’illustration de l’actualité et si elle permet de rendre visible les conflits du XXe siècle, l’image photographique n’est pas véritablement envisagée comme un outil de propagande en France.
Le début de la guerre se déroule donc sans images officielles françaises, contraignant les journaux et le cinéma à se fournir auprès d’agences étrangères ou de photographes amateurs. C’est avec l’installation du conflit dans la durée que le gouvernement et l’armée française prennent conscience de l’intérêt de la photographie dans leurs efforts de propagande contre l’Allemagne et mettent en place leurs propres outils de production et de diffusion des images en créant la Section Photographique des Armées le 9 mai 1915.
Étape 2. Derrière les images… des photographes
La Section Photographique des Armées fonctionne avec des photographes expérimentés recrutés parmi les hommes ne pouvant combattre : ces opérateurs, comme Emmanuel Mas, André Vergnol ou Pierre Machard sont très encadrés, travaillent dans le cadre de mission et deviennent de véritables soldats de l’image, les seuls autorisés à documenter la guerre de manière officielle pour la France. Si la photographie est formellement interdite par l’Armée française, elle reste largement pratiquée par des amateurs comme Ferdinand Pron de l’Epinay tout au long du conflit et est encouragée par certains journaux comme Le Miroir qui publient et récompensent les photographes amateurs.
La photographie, officielle ou amateur, s’inscrit dans un processus plus large de développement et de diffusion des images. Dans le cas de la SPA, chaque image publiée est le résultat d’un travail d’équipe, qui associe regard personnel de l’opérateur, maîtrise technique et contrôle des autorités afin de servir les objectifs de la SPA, en France et à l’étranger.
Étape 3. Derrière les images…des techniques
En 1914, la photographie est pratiquée par un public de plus en plus large qui bénéficie d’avancées technologiques comme la pellicule souple ou de la production industrielle d’appareils plus légers comme le premier appareil photo de poche Kodak. Les appareils à plaques de verre sont devenus plus simples à utiliser en extérieur, grâce à des plaques sèches déjà photosensibles. Possédant ses propres appareils, la SPA et ses opérateurs préfèrent les plaques de verre, fiables et durables dans le temps et répondant mieux aux contraintes de l’archivage et du tirage sur papier. Au cours de la Grande Guerre, les opérateurs produiront environ 97 000 plaques de verre. Le matériel photographique de l’époque comporte son lot de contraintes liées au poids de l’appareil et des plaques(jusqu’à 80kg) et si les appareils arrivent jusque dans les tranchées, ils n’en restent pas moins incapables de saisir les moments essentiels de la guerre : images d’assauts, attaques de nuits restent largement invisibles pour les non-combattants. Quelques clichés en couleur ou autochromes, produits grâce à une technique élaborée par les frères Lumière, donnent une autre image du conflit mais restent rares en raison des contraintes propres à la
technique.
Étape 4. Derrière les images… les reportages
Les images saisies sur le territoire du Nord et du Pas-de-Calais constituent un échantillon emblématique des sujets photographiés par la SPA au cours de la guerre. Des tranchées aux usines de l’arrière, les photographies reflètent les missions de propagande et de documentation du conflit, inhérentes à la SPA et mettent en lumière un territoire profondément marqué par la guerre : l’utilisation industrielle de l’artillerie détruit sans distinction et donne à ce conflit un visage inédit. Les destructions sont spectaculaires, elles touchent indistinctement les paysages, les bâtiments, les monuments historiques et les industries. Rapidement elles deviennent emblématiques de la souffrance du nord de la France en même temps qu’elles en viennent à symboliser ce nouveau conflit.
Étape 5. Derrière les images… la diffusion
La diffusion des photographies prises par les opérateurs de la SPCA témoigne de l’essor de la presse illustrée comme source et moyen d’information : la Grande Guerre marque l’entrée dans la communication de masse. Si la présence des clichés officiels dans la presse reste modeste, ils sont diffusés autrement en France et surtout à l’étranger : la SPCA diffuse quotidiennement des images vers les pays alliés et neutres, sous la forme de fascicules édités et traduits ou lors d’expositions. Cette diffusion est complétée en France par la production de cartes postales et de vues stéréoscopiques. À travers la diffusion des images de la SPA, la France continue de légitimer son combat, de contrer la propagande allemande et de faire connaître l’effort de l’armée française. Elle cherche à rassurer les Alliés et la population française en construisant l’image d’une France détruite mais forte et résistante.
Étape 6. Derrière les images… l’héritage
En consacrant la photographie comme instrument d’information et de médiatisation à l’échelle internationale, la Grande Guerre a durablement transformé la représentation des conflits. De cette profusion d’images et de motifs émerge la figure emblématique du reporter de guerre qui se cristallise autour des photographes Robert Capa et Gerda Taro, qui couvrent la guerre d’Espagne. Avec la création des agences Magnum et Gamma après la Seconde Guerre mondiale, le statut des photoreporters évolue et tend vers une forme d’indépendance.
Mais leurs conditions de travail demeurent difficiles et de plus en plus dangereuses à mesure que le matériel se miniaturise, que les guerres s’éloignent et se complexifient. En parallèle, l’essor d’Internet, des chaînes d’information continue et des nouvelles technologies créent de nouvelles problématiques de traitement et de diffusion des images. Les photoreporters restent cependant les témoins majeurs des bouleversements des XXe et XXIe siècles, qu’ils continuent de questionner à travers leurs photoreportages où se manifeste la permanence des motifs photographiques introduits par la Grande Guerre comme dans les photographies de tranchées ukrainiennes d’Édouard Elias (2018).
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