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avril 2021

La plus ancienne carte d’Europe ?

La dalle ornée de Saint-Bélec à Leuhan (Finistère) est probablement la plus vieille représentation cartographique d’un territoire connue en Europe. Yvan Pailler, chercheur à l’Inrap, mis à disposition de l’université de Bretagne Occidentale, et Clément Nicolas, post-doctorant Marie Curie/Bournemouth University dévoilent leurs conclusions sur cette exceptionnelle découverte.

 

Vue zénithale de la dalle de Saint-Bélec. Cette dalle ornée forme une composition homogène avec des gravures couvrantes, identiques en technique et en style, formant un tout indissociable. On note aussi la répétition de motifs (cupules, formes géométriques), reliés entre eux par un réseau de lignes. Ces éléments permettent, selon C. Delano Smith, de reconnaître un document cartographique. © D. Glicksman, Inrap

Vue zénithale de la dalle de Saint-Bélec. Cette dalle ornée forme une composition homogène avec des gravures couvrantes, identiques en technique et en style, formant un tout indissociable. On note aussi la répétition de motifs (cupules, formes géométriques), reliés entre eux par un réseau de lignes. Ces éléments permettent, selon C. Delano Smith, de reconnaître un document cartographique.               © D. Glicksman, Inrap

 

Qui a trouvé la dalle de Saint-Bélec ?

Clément Nicolas : C’est Paul du Chatellier qui est le grand préhistorien de la seconde moitié du XIXe siècle en Bretagne, et plus particulièrement dans le Finistère. Cela faisait plusieurs décennies qu’il y faisait régulièrement des campagnes de fouilles de tumulus. Il explore plusieurs tertres dans le secteur des montagnes Noires, un secteur encore très peu étudié. On lui avait sans doute indiqué le tumulus de Saint-Bélec. Et il y a fait, comme à son habitude, un trou au centre pour aboutir sur la tombe principale.

À quelle structure monumentale appartenait la dalle ?

Yvan Pailler : La dalle est située dans le caveau d’un tumulus. Le défunt est inhumé dans un caveau en pierre, qui est construit pour l’occasion dans une fosse. La pierre gravée constituait l’un des petits côtés du coffre, surmontée de plusieurs niveaux de moellons, et un bloc mégalithique en quartz occupait l’autre petit côté. Une fois maçonné, l’ensemble a été recouvert d’une grosse dalle de couverture. Puis, toute la structure a été englobée dans un tumulus qui a été scellé. Ce caveau n’a pas livré un mobilier très riche, seulement un vase biconique décoré de chevrons. Il a quand même une particularité : sa dimension qui est singulièrement importante. Sa profondeur est de 2,10 m, sa longueur est de près de 4 m et sa largeur d’un peu moins de 2 m. Ces grands tumulus sont assez rares.

La dalle était-elle complète, du moins pour ce qu’a réussi à conserver Du Chatellier ?

Clément Nicolas : On présume que la dalle aurait été gravée à l’âge du Bronze ancien. Avant d’être réemployée pour constituer la paroi du coffre, toute sa partie supérieure a été cassée, volontairement ou involontairement. Elle a vraisemblablement été cassée sur place parce que Paul du Chatellier, même s’il ne nous l’indique pas, a retrouvé la plupart des morceaux du bord supérieur. Il a fait transporter la dalle jusqu’au manoir de Kernuz, à Pont-l’Abbé, qui était sa propriété familiale, en même temps qu’un musée privé.

Paul du Chatellier meurt en 1911, et une décennie plus tard, ses enfants décident de vendre toute sa collection au Musée d’Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye. La dalle y est transportée avec d’autres pierres gravées de la collection, pour être stockée, avec d’autres éléments lapidaires, dans des alcôves qui sont aménagées dans les douves du château. C’est là que tous les éléments de mobilier de la collection Du Chatellier vont être inventoriés, sauf pour ce qui est de ces dalles gravées, dont la mémoire sera plus ou moins perdue, jusqu’à leur mention dans un article de Renan Pollès qui permettait de penser qu’elles étaient toujours présentes au MAN. Avec l’aide du conservateur, Alain Villes, et d’un des gardiens du château, nous avons exploré toutes les réserves et l’on a fini par retrouver la dalle de Saint-Bélec dans une cave où elle avait été déménagée pour la mettre à l’abri.

Yvan Pailler : Il y a des morceaux de la dalle que l’on n’a pas récupérés, mais qui existaient du temps de Du Chatellier. Celui-ci avait retrouvé des morceaux qui avaient dû tomber dans le caveau, et une fois arrivé au manoir de Kernuz, il a restauré la dalle avec du ciment, comme on le faisait à l’époque. Ce n’est pas lors du déplacement, mais plus probablement, lors du stockage dans les douves que des plaques qui ne devaient pas être très bien collées se sont de nouveau desquamées.

Clément Nicolas : C’est un puzzle qui a été fait plusieurs fois. Au moment de la fouille, Paul du Chatellier n’avait pas prévu de récupérer la dalle, mais un fragment s’était desquamé dans la partie centrale qu’il a apporté chez lui, photographié et recollé ensuite sur la dalle. Ce fragment n’a plus bougé et y figure encore. En revanche, de la partie supérieure de la dalle, celle qui était cassée en plusieurs morceaux dans la tombe et que Paul du Chatellier a en partie recimentée, seul un fragment a été conservé dans les réserves de la collection Paul du Chatellier, que l’on a retrouvé, lui, dans les étages.

(…)

 

Technologie des gravures de la dalle de Saint-Bélec. DAO : © C. Nicolas

Technologie des gravures de la dalle de Saint-Bélec. DAO : © C. Nicolas

 

Sur quels éléments vous basez-vous pour dire qu’il s’agit d’une carte ?

Yvan Pailler : Il y a eu beaucoup de travaux sur les représentations cartographiques préhistoriques. On estime que l’on est devant une carte quand des motifs se répètent et qu’ils sont reliés entre eux par des lignes pour former un réseau, dans un ensemble cohérent. Toute l’importance de l’étude de la technologie et des chronologies des gravures tient au fait qu’elle a démontré qu’il n’y avait quasiment pas de superposition de motifs, hormis quelques incisions qui ont été ajoutées dans un second temps. Souvent, ces incisions repassent sur des zones piquetées ou les prolongent. Ces incisions sont vraiment restées dans la logique de la composition. Nous réunissons bien les critères pour reconnaître une carte, ou plutôt une représentation à caractère cartographique.

(…)

Pourriez-vous décrire la composition ?

Yvan Pailler : Il y a un motif central, au milieu de la dalle, une sorte de trapèze aux bords convexes d’où partent plusieurs traits, plusieurs lignes droites qui, globalement, dessinent un axe horizontal et sans doute un axe vertical, mais difficilement appréciable dans la partie supérieure du fait des cassures. Les quatre quarts ainsi dessinés sont remplis de différents motifs de manière plus ou moins dense. Il y a des formes récurrentes comme des cercles ou des formes quadrangulaires avec une ou plusieurs cupules à l’intérieur. Il y a également deux grandes formes ovalaires, dans lesquelles on va retrouver un certain nombre de motifs, notamment les cercles ou carrés avec des cupules à l’intérieur, mais aussi des motifs cruciformes. Dans l’autre motif ovalaire, il y a une série de petites cupules.

Tous ces motifs sont, d’une manière ou d’une autre, reliés entre eux par des réseaux de lignes. Les plus grandes cupules font 10 centimètres de diamètre et plusieurs centimètres de profondeur, et elles sont inégalement réparties entre les motifs. Des lignes piquetées ont seulement 3 ou 4 millimètres de profondeur et d’autres près de 2 centimètres de profondeur. Il y a un jeu, dans la réalisation de ces motifs, selon qu’ils sont plus ou moins imprimés, comme si on avait cherché à en faire ressortir certains plus que d’autres.

Clément Nicolas : Ce qui nous manque, c’est la légende, le décodeur. Est-ce que certaines des cupules représentent – pourquoi pas ? – des mines ? Est-ce que certaines représentent des sources ? Tout cela, c’est presque un prélude à un programme de recherche entier sur les montagnes Noires.

 

Article complet ici : https://www.inrap.fr/la-plus-ancienne-carte-d-europe-15574?utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=n%25C2%25B0%252025%2520%257C%2520jeudi%25208%2520avril%25202021